Passées sous les radars médiatiques, les déchirures internes du Parti socialiste (PS) persistent et débordent sur le reste de la gauche. Elles se cristallisent sur l’élection législative partielle prévue dimanche 26 mars en Ariège. La candidate de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), Bénédicte Taurine, issue de La France insoumise (LFI) y affrontera une candidature du Rassemblement national (RN), en étant gênée par la candidature socialiste dissidente de Martine Froger.
En janvier dernier, le premier secrétaire Olivier Faure avait passé un accord avec le rival qui contestait sa réélection, le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol. Ce dernier s’était vu accorder un poste de « premier secrétaire délégué », au même titre que la maire de Nantes Johanna Rolland, pour composer une sorte de direction collégiale. Depuis, Olivier Faure s’est ingénié à reprendre la main, afin d’échapper à la paralysie, voire à la mise sous tutelle espérée par ses opposants.
Pour cela, le dirigeant du PS a pu s’appuyer sur la majorité obtenue au conseil national, le parlement du parti. En amont du congrès de Marseille, les « fauristes » accusaient un léger retard dans cette assemblée, à la suite du vote qui avait départagé les trois textes d’orientation en concurrence. Mais en février, les adhérents socialistes ont désigné leurs premiers et premières secrétaires à l’échelle des fédérations départementales du parti. Grâce à ces nouvelles arrivées, les partisans d’Olivier Faure ont emporté le contrôle du conseil national.
Lorsque ce dernier a été convoqué le 11 mars dernier, le patron du PS a mis à son agenda le soutien à Bénédicte Taurine en Ariège, en spécifiant qu’un vote défavorable rendait impossible la participation à la direction du parti. Une façon de faire d’une pierre deux coups.
D’un côté, Olivier Faure s’évitait tout conflit avec ses partenaires de La France insoumise, à qui cette circonscription avait été réservée lors de l’accord négocié en juin dernier. D’un autre côté, il mettait Nicolas Mayer-Rossignol dans une situation impossible, puisque les deux principaux soutiens de son courant, la présidente de la région Occitanie Carole Delga et la maire de Paris Anne Hidalgo, ont pris fait et cause pour la dissidente socialiste.
« Purge mexicaine »
Dans le camp de Mayer-Rossignol, on déplore la méthode choisie par le premier secrétaire, en faisant valoir que le sujet pouvait être traité plus tard, et que le risque du RN est de toute façon limité dans cette circonscription, l’une des plus à gauche de France.
Gabrielle Siry-Houari, membre du bureau national, estime en outre que « l’Ariège est un des cas où l’accord de la Nupes mériterait d’être renégocié ». Selon elle, la « personnalité de Bénédicte Taurine » rendait impossible de se soumettre à l’injonction de Faure : « Ses positions sont aux antipodes des nôtres sur la crise sanitaire. Elle a défendu la réintégration des soignants non vaccinés, et participé à des mobilisations pouvant être qualifiées d’antivax [ses défenseurs les qualifient plutôt d’anti-passe sanitaire – ndlr]. »
Le camp Mayer-Rossignol ayant refusé de se dédire, les secrétaires nationaux désignés le 11 mars appartiennent tous à la majorité fauriste, loin de la cohabitation qui avait pu être envisagée un moment. « Ça ne correspond pas à la lettre de l’accord », regrette Gabrielle Siry-Houari. Sous le sceau de l’anonymat, une autre voix évoque carrément une « purge mexicaine », en référence à un secrétariat pléthorique, comptant plus d’une centaine de personnalités « récompensées pour leur fidélité, [alors qu’]il y a deux blocs dans le parti ».
Sans surprise, la lecture des partisans et partisanes d’Olivier Faure est différente. Secrétaire national à l’économie, Alexandre Ouizille estime qu’« il ne peut pas y avoir deux directions différentes à la tête du PS » : « Le vote sur l’Ariège devait clarifier la participation à la ligne d’union de la gauche approuvée par la majorité des militants lors du congrès. La conséquence logique du refus de soutenir Bénédicte Taurine, c’est qu’on ne peut pas aller plus loin ensemble dans le processus commun ».
Pour le chercheur en science politique Pierre-Nicolas Baudot, qui achève une thèse sur le PS et l’enjeu de l’immigration, cette conclusion correspond à une évolution déjà ancienne, selon laquelle « les structures du parti sont celles du premier secrétaire ». « Le camp Faure sait que le camp Mayer-Rossignol n’a pas intérêt à faire tourner la machine du parti à son profit, explique-t-il à Mediapart. Il n’a donc pas grand-chose à perdre à s’en passer dans la direction. »
Le risque est bien sûr que la grosse minorité anti-Faure, libérée de toute solidarité, s’exprime en dehors du parti et savonne la planche de la direction. Il n’est pas anodin que Nicolas Mayer-Rossignol ait participé à un dîner révélé par le Journal du dimanche, qui a notamment réuni François Hollande, son ancien premier ministre Bernard Cazeneuve (qui vient de lancer son mouvement La Convention) et Guillaume Lacroix, président du Parti radical de gauche. Le tout sous l’impulsion d’un petit club social-démocrate animé par l’ex-journaliste Laurent Joffrin et l’ex-premier secrétaire socialiste Jean-Christophe Cambadélis.
Ce petit monde s’organise, pour l’instant modestement, au nom d’une sensibilité de centre-gauche à équidistance d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon. « L’enjeu pour certaines de ces personnalités, analyse plus prosaïquement Pierre-Nicolas Baudot, consiste à préserver les ressources politiques qu’ils ont accumulées grâce au PS, mais en les détachant d’un appareil central qui a clairement choisi de s’engager dans la Nupes, contre leur héritage. Ils cherchent à faire vivre leurs réseaux et leur réputation, voire à placer de l’argent, en dehors d’un parti dont ils ont perdu le contrôle. »
Le salut par la Nupes
Le calcul d’Olivier Faure consiste à s’exposer aux piques de ces figures associées au PS déliquescent de la fin des années 2010, plutôt qu’à une rupture avec les partenaires plus à sa gauche. Au demeurant, pour l’instant, Nicolas Mayer-Rossignol n’a pas franchi de ligne rouge en interne. Et son ex-porte-parole Gabrielle Siry-Houari fait remarquer qu’à propos des retraites, le conseil national a été unanime dans sa résolution contre la réforme et en soutien du mouvement social.
Selon elle, le courant du maire de Rouen joue déjà un rôle d’« aiguillon » de la direction et cherchera à « peser sur les textes » produits par le parti. « Nous travaillons également à des publications régulières », ajoute-t-elle, en affirmant être guidée par le souci d’offrir « une perspective d’alternance au pouvoir actuel ». Dans son esprit, cela nécessite un PS moins « assujetti aux positions de La France insoumise ».
« Offrir un débouché politique », c’est aussi la priorité affichée par Olivier Faure dans un récent entretien à Libération. Mais, pour le coup, son propos est directement adressé à ses partenaires de la Nupes, auxquels il propose d’écrire « un projet de coalition », « en [se] retrouvant à échéance régulière ». Le travail que le PS s’apprête à fournir de lui-même, par exemple à travers une convention sur l’Europe lancée mercredi 29 mars, est présenté comme une contribution à cet objectif unitaire.
« Ça bosse beaucoup plus », s’enthousiasme déjà Alexandre Ouizille. À ses yeux, la composition du nouveau secrétariat national témoigne de la confiance accordée à « une nouvelle génération de socialistes » et d’une « attractivité renouvelée du PS », dont témoignent « certaines arrivées, comme celle de Chloé Ridel [haute fonctionnaire et essayiste – ndlr], et certains retours, comme celui de Jérôme Saddier [figure de l’économie sociale et solidaire – ndlr] ».
En tout état de cause, le moment des retraites s’est révélé favorable au PS. Plusieurs de ses députés, tout en cultivant un style différent de celui des Insoumis, ont fait preuve d’une efficacité remarquée pour démonter les arguments du gouvernement. Selon le chercheur Pierre-Nicolas Baudot, la position d’Olivier Faure est d’ailleurs confortée par la reconnexion qui se dessine entre le travail accompli à l’Assemblée – où le groupe PS lui est désormais largement acquis – et le travail de l’appareil central du parti.
Le chemin s’annonce encore long et conflictuel pour un parti dont l’effondrement a été particulièrement brutal. Pour l’heure, Olivier Faure et ses soutiens sont parvenus à tourner la page du déplorable feuilleton de janvier dernier. Dimanche, leur regard sera cependant tourné vers l’Ariège, où se joue une partie de la crédibilité de leur stratégie.